LES SAGES d'ISRAEL par hérvé-elie bokobza
« Les Justes authentiques ne se plaignent pas de l’injustice,
ils augmentent la justice
Ils ne se lamentent pas du manque de foi, ils intensifient la foi
Ils ne déplorent pas l’ignorance, ils accroissent la connaissance ».
R. A.Y. Kook, Appelé Tohar, 28
« L’Homme de la Halakha, s’efforce d’intégrer l’éternité dans le temps… il ne se détache pas de la vie quotidienne…il fait pénétrer la présence divine dans le monde concret… Les Grands d’Israël, font rayonner leurs splendeurs morales et leurs majestés se répand sur leur entourage ».
R. J.D. Soloveichik, l’Homme de la Halakha p. 102-104
R. Lévi bar ‘Hama dit au nom de R. Shimon b. Lakich :
“Que signifie ce verset : « Je te donnerai les Tables de pierre,
la Torah et le commandement que j’ai écrits pour les enseigner » ? (Exode 24, 12)
« Les Tables », ce sont les dix paroles (ou les Dix Commandements) ; « la Torah », c’est le Pentateuque ; « le commandement », c’est la Mishna ; « que j’ai écrits », ce sont les Prophètes et les Hagiographes ; « pour les enseigner », c’est le Talmud.
Il nous enseigne qu’ils ont tous été donnés à Moïse au Sinaï.”
Talmud Berakhot 5, a
R. Y’hya Bar Aba au nom de R. Yo’hanan dit : “Que signifie ce verset : [« Et l’Eternel me remit les deux Tables de pierres, écrites du doigt divin] et contenant toutes les paroles que l’Eternel vous adressa sur la montagne » ? Ce verset vient nous apprendre, que le Saint, béni soit-il, a montré à Moïse toutes les explications des paroles de la Torah et des Sages, ainsi que tout ce que les Sages apporteront par leurs explications.”
« R. Josué b. Lévi dit : … La Bible, la Mishna, le Talmud et la Agada. Même ce qu’un élève perspicace enseignera un jour en présence de son maître, tout cela a déjà été dit à Moïse au mont Sinaï.»
(Talmud Méguila 19, b - Talmud de Jérusalem Péah chap. 2 loi 4)
I
La transmission de la Torah Orale
1. La Tradition Orale
La Tradition Orale est pour le judaïsme d’une importance capitale. Son fondement ne s’établit qu’au moyen de celle-ci. Selon les termes de Maimonide : « Tous les commandements qui ont été transmis à Moïse au Sinaï ont été donnés avec leurs commentaires […] c’est ce qu’on appelle la ‘Torah Orale’ » (Introduction au Mishneh Torah).
Pour comprendre ce qui suit il est impératif de garder à l’esprit que si la Torah Écrite, à savoir les cinq livres de Moïse, le Pentateuque, constitue le socle sur lequel se fonde tout l’enseignement de la Torah, ce n’est qu’en fonction de son interprétation que la Torah prendra véritablement sa signification et prise en compte. Pour tout ce qui concerne notamment la Halakha [loi pratique] elle ne peut s’établir sans le recours à la Tradition et l’interprétation. C’est ainsi que depuis Moïse, les Sages d’Israël n’ont cessé d’interpréter les textes bibliques en se basant sur les « midot chéhatorah nidréchet bahen », les règles selon lesquelles la Torah s’interprète. La Tradition juive considère que ces règles ont été transmis par Moïse au Sinaï, c’est ce qu’on appelle la « Halakha lé-Moché mi-Sinaï », la loi de Moïse au Sinaï. Dans les termes de la Mishna : « Moïse reçut la Torah[1] au mont Sinaï, et l’a transmise à Josué, et Josué aux Anciens, et les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux membres de la Grande Assemblée. » (Avot 1,1).
L’enjeu historique de la pérennité de la tradition juive orale peut être illustré par l’anecdote racontée dans le Talmud (Guittin 56, b). A l’époque de la destruction de Jérusalem au Ier siècle de notre ère, Rabbi Yo’hanan ben Zakaï (élève de Hillel) essaya de fuir la ville sainte, alors assiégée par les Romains, en se faisant passer pour mort. Il voulait tenter quelque chose pour mettre fin aux souffrances infligées à Israël.
Sa fuite le mena auprès de Vespasien qu’il salua en qualité de roi. Cette marque de déférence suscita la colère de ce dernier. Vespasien ne pouvait admettre d’être considéré comme roi eu égard à César. Il voulut donc condamner à mort le sage juif. Les pourparlers qui s’ensuivirent n’empêchèrent pas R. Yo’hanan b. Zakaï de rester ferme dans ses positions : Vespasien était empereur.
Sur ces entrefaites, un courrier dépêché de Rome, annonça à Vespasien la mort de César, et qu’il avait été choisi par les nobles de Rome pour être à leur tête. La prescience de R. Yo’hanan b. Zakaï lui valut une faveur de la part de Vespasien. A la grande stupéfaction des Sages, plutôt que de demander à l’empereur de renoncer à Jérusalem[2] ou au moins de cesser les combats contre Israël, il lui demanda « la ville de Yabneh avec ses sages » dans le but d’y fonder une académie garante de la pérennité de l’enseignement de la Torah.
Et l’histoire juive démontra le bien-fondé de ce choix. En effet, le contexte historique ne laissait pas présager que la vie juive centrée autour du Temple fut encore possible. Il fallait offrir au judaïsme un renouveau en dehors de cette structure. On comprend ainsi, que grâce à ce qu’il obtint de Vespasien, R. Yo’hanan b. Zakaï avait assuré la pérennité de la transmission orale de la Torah[3].
Une nouvelle page de l’histoire était tournée. La Torah n’allait pas être oubliée des générations futures malgré les conditions de vie difficiles que le peuple juif allait devoir subir à travers le temps.
2. Chronologie des Sages d’Israël
Pour comprendre la période qui suit la destruction du second Temple de Jérusalem (en 68 de notre ère), appelée diaspora, nous nous réfèrerons à l’ordre hiérarchique de la tradition juive. En effet, on a coutume de classer les Sages d’Israël selon leurs époques. On estime que plus on s’éloigne dans le temps de la Révélation, plus l’autorité des Sages diminue.
Le Talmud lui-même va énoncer ce principe : « Si les premiers sont des “ fils ange ”, nous sommes des “ fils d’homme ”. En revanche s’ils sont des “ fils d’homme ”, alors nous sommes des ânes. » (Chabbat 112, b). Ou encore : « Rabbi Yo’hanan dit : “Le cœur des Anciens [Sages] était grand comme la porte du vestibule du Temple ; quant à ceux qui vinrent après, leur cœur était grand comme la porte du lieu saint ; alors que le nôtre n’est pas plus grand que le chas d’une très fine aiguille » (Erouvin 53, b).
Cet ordre est surtout important en matière de halakha – voir plus loin au sujet des différences hiérarchiques entre la Mishna et la Guémara. En matière d’Aggada et de pensée juive en revanche, les règles sont moins précises. Ainsi, il est davantage admis dans ce domaine qu’un sage des dernières générations puisse remettre en cause la pensée établie par des sages des générations antérieures.
Après l’époque des Prophètes, l’Histoire donna naissance à différentes époques de sages. Chaque époque a été nommée d’une manière bien distincte ; en voici un aperçu chronologique :
1- Les Sages de la Grande Assemblée :
La période des Sages de la Grande Assemblée débute à partir d’Ezra Sofer (le scribe), ou Esdras, qui vivait à l’époque de l’exil de Babylone, après la destruction du premier Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor en -586. Cette période s’étend sur près de trois siècles. Elle se conclut par l’époque des « Chéreyé Knesset Haguedola », les restes de la Grande Assemblée, laquelle s’achève à l’époque de Hillel et de Chammaï au début de notre ère. Le rôle principal qu’ont joué les membres de la Grande Assemblée a été d’établir la tradition, le rituel de prières, et de fixer les lois et les décrets.
C’est à partir de ces sages que vont naître les prémices des discussions (ma’hloqet) au sujet de l’interprétation de la loi orale. Cependant on ne sortait pas du Beth Hamidrash (maison d’étude) avant d’avoir établi une décision claire et définitive, en fonction de la loi de la Majorité (cf. Exode 33, 2), celle-ci était alors acceptée par l’ensemble des membre. Ainsi les Tribunaux, qui se trouvaient en dehors du Sanhédrin central de Jérusalem, soumettaient leurs doutes au Grand Tribunal, Beth Din et tous devaient se conformer à ses décisions.
C’est seulement à partir de l’époque de Hillel et de Chammaï, en raison d’un manque d’expérience de bon nombre d’entre eux, qu’il devint plus difficile de parvenir à des décisions de loi définitives. C’est ainsi que deux écoles aux visions très différentes vont naître[4]. En règle générale, l’école de Hillel tendra à opter pour une loi plus souple et conviviale, tandis que celle de Chammaï cherchera davantage la rigueur et l’intransigeance de la Loi[5]. C’est donc à la suite de ces deux grandes écoles que va véritablement émerger la Ma’hloqet (controverse). Il s’avèrera donc nécessaire d’avoir une connaissance bien plus approfondie de la halakha, du fait de toutes ces différentes opinions qui l’ont constituées.
2- Les Tanaïm (Sages de la Mishna) :
Ils s’étendent du début de notre ère jusqu’au IIIe siècle, et se closent avec les disciples de Rabbi Yehouda Ha-Nassi, compilateur de la Mishna.
3- Les Amoraïm (Sages de la Guémara) :
Ils commencent avec les élèves de R. Yehouda Ha-Nassi et se concluent au VIe siècle.
4- Les Rabbanan Sabouraïm et les Guéonim :
Ils débutent la conclusion du Talmud au VIe siècle, et s’achèvent au XIe siècle.
5- Les Richonim (Premiers) :
Ils vont de la fin de la période des Guéonim au XVIe siècle.
6- Les A’haronim (Derniers) :
Cette période commence à la fin de l’époque des Richonim et considère qu’elle se poursuit jusqu’à nos jours.
La Torah orale
Cette Torah, transmise de génération en génération, devait rester orale (Torah chébéal peh). En effet, Rabbi Yehouda ben Na’hmani, l’interprète de Rech Lakich, explique : Un verset dit d’une part : « Ecris ces paroles » (Exode 34, 27), et d’autre part il est écrit : « car par la bouche ces paroles »[6] (Ibid.), pour t’enseigner qu’il n’est pas permis de lire par écrit des traditions orales ni d’exposer oralement un texte écrit. On enseignait également à l’école d’Ismaël : « Ecris ces paroles » signifie : celles-ci, tu peux les écrire, mais non les traditions (Temoura 14, b). La Torah de Moïse, en revanche, est appelée Torah écrite « Torah chébikhtav » : « Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique, et qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël » (Deut. 31, 19).
La Mishna
Malgré ce principe de ne pas écrire les enseignements oraux de la Torah, les sages avaient pour habitude de conserver par écrit les points essentiels de leurs études, c’est juste qu’ils ne pouvaient transmettre leurs enseignements à partir d’un texte écrit. Ainsi, depuis Moïse, aucun livre de Torah de fût écrit en vue d’une étude publique[7].
Jusqu’à ce que vînt R. Yehouda Ha-Nassi (IIe siècle). Craignant que tous ces enseignements ne finissent par tomber dans l’oubli, il décida de coucher par écrit les principaux d’entre eux ce qui constituent la Mishna. Pour cela il s’appuya sur les mots du psalmiste : « Le temps est venu d’agir pour l’Eternel, on a violé ta Torah » (Ps. 119, 126) ; « Il vaut mieux déraciner la Torah, plutôt que de la voir oubliée par Israël » (Talmud ibid.). C’est ainsi que fut levée cette interdiction d’enseigner la Torah orale à partir d’un texte écrit, afin que les aléas de l’Histoire ne fassent pas oublier la Torah au peuple juif.
Les enseignements compilés dans la Mishna couvrent pour l’essentiel les époques des Sages de la Grande Assemblée et des Tanaïm. R. Juda Ha-Nassi dut néanmoins faire un choix très minutieux, ne retenant des enseignements des Sages que les plus importants, principalement les opinions susceptibles d’être retenues dans la halakha[8], et ce dans un style clair et concis[9]. C’est ainsi qu’il n’introduisit pas dans ses traités de Mishna toutes les décisions des Sages qui l’avaient précédés. Celles qui n’ont pas été retenues par exemple furent enseignées en dehors des Beth Hamidrash, les académies d’études officielles. De ce fait, elles ont reçu le nom de Braïta, « celle venant de l’extérieur ». Ce n’est que plus tard qu’elles furent recueillies dans un livre appelé « la Tossafta » (additions), rédigé par Rabbi ‘Hiya. Puis d’autres braïtot furent à leur tour réunies par Rabbi Ochaïa et Bar Kapara, tous deux disciples de Yehouda HaNassi et qui se situent dans la génération intermédiaire entre les Tanaïm et les Amoraïm[10].
La Mishna est divisée en six ordres appelés « seder », chacun est composé de plusieurs traités et englobant toute la législation juive, à la fois religieuse et civile :
1- Zeraïm : les semences.
Traite des lois relatives au travail de la terre. On y parle entre autres du prélèvement de la dîme des récoltes, des prémices et offrandes réservées aux prêtres et aux pauvres.
2- Mo’ed : les fêtes et événements.
Traite des lois relatives aux événements du calendrier juif, tels le chabbat, les fêtes, le deuil et les jeûnes.
3- Nachim : les femmes.
Traite principalement des lois relatives à la vie conjugale ; le mariage, le divorce, le lévirat, l’adultère.
4- Nezikin : les dommages.
Traite principalement des lois civiles ; les tribunaux, les juges et les témoins, les acquisitions, les dommages, les blessures physiques, les crimes, etc.
5- Kodachim : les choses saintes.
Traite des lois relatives à la sainteté religieuse, tels les sacrifices liés à l’époque du Temple de Jérusalem, les règles de cacherout (nourriture permise ou interdite à la consommation).
6- Taharot : les choses pures.
Traite des lois relatives à la pureté et à l’impureté, telles les purifications de personnes ou d’objets, les règles liées à l’impureté du mort et les lois concernant les menstruations.
La Guémara
La Mishna, du fait de la concision de son style, se prête à de multiples interprétations et commentaires. En effet, même si la Mishna avait pour but de trancher la loi, elle ne mit pas fin pour autant aux controverses quant à son interprétation, loin s’en faut. Elle donna donc naissance, dans les générations suivantes, à différentes écoles de Sages. Ceux-ci, bien qu’ils n’aient plus autorité pour contredire les décisions de la Mishna[11], discutaient de son interprétation, ainsi que d’enseignements nouveaux de la halakha qu’elle n’avait pas traitée[12].
La plupart de ces discussions furent réunies dans ce qu’on appelle la « Guémara ». Contrairement à la Mishna, son style est prolixe, les analyses des sujets traités y sont bien plus détaillées. La Guémara n’hésite pas à citer différentes opinions contradictoires, voire à mentionner de simples hypothèses visant à interpréter les textes quand bien même elles n’auraient pas été validées.
Il existe deux rédactions de la Guémara (ou Talmud) :
1- Le Talmud de Jérusalem (le Yerouchalmi) :
Il comporte principalement les commentaires et discussions sur la Mishna des Amoraïm des écoles installées en Terre Sainte.
2- Le Talmud de Babylone (le Babli) :
Il comporte principalement les commentaires et discussions sur la Mishna des Amoraïm des écoles installées en Babylonie.
Le Talmud de Jérusalem fut rédigé à Tibériade vers la fin du IVe siècle de notre ère, tandis que le Talmud de Babylone ne fut conclu que bien plus tard, vers la fin du Ve siècle. Le Talmud de Babylone a un style bien plus élaboré que celui de Jérusalem, dont le langage est cependant plus détaillé que celui de la Mishna[13]. Le Talmud de Babylone fait jurisprudence lorsque ses conclusions sont en contradiction avec celui de Jérusalem, du fait que sa rédaction est postérieure.
Le Talmud se compose de deux parties bien distinctes dans leur approche : la halakha et la Aggada.
La Halakha (la loi) :
Elle constitue la partie législative du Talmud où l’on discute aussi bien des lois religieuses que des lois civiles. Son but est de commenter les différentes opinions citées dans la Mishna et la Braïta, de retrouver l’origine des lois, de trancher des points de litiges, ou de répondre aux contradictions opposant différentes Mishnaïot entre elles en cherchant parmi les diverses interprétations proposées celle qui ne sera pas objectée ; d’où l’abondance et la profondeur de ces textes.
La Aggada (récits, pensées) :
La Aggada, quant à elle, comprend tout ce qui ne fait pas partie de la halakha. Elle inclut, entre autres, l’éthique, l’histoire, les paraboles, les interprétations homilétiques ainsi que les exégèses approfondies. Son but est de faire parvenir le lecteur à une connaissance de Dieu. A propos du verset « Attache-toi à Lui » (Deu 10, 20), le Sifri explique : « Tu veux connaître Celui qui, par Sa parole, a fait que le monde soit ; étudie la Aggada. C’est par elle que tu acquerras la connaissance de Dieu et que tu t’attacheras à Ses chemins » (Deut. 11,22). Rabbi Isaac Louria (le Ari’zal), (1534-1572) précise que la plupart des secrets de la Torah, la Cabale, ainsi que la science de la connaissance de Dieu, sont cachées à l’intérieur de la Aggada[14].
Ces deux formes d’enseignement ne sont pas présentées séparément ; elles figurent à l’intérieur d’un seul et même texte. Le Talmud traitera tantôt de halakha, tantôt d’Aggada. Comme l’atteste à juste titre Rabbi Chmouel Eliezer Edels, le Maharcha (1555-1632) dans la préface de son commentaire sur le Talmud, le ‘Hidouchei Halakhot : « Je m’aperçois que les Sages du Talmud ont fait des passages traitant de halakha et de ceux traitant d’Aggada un seul et même livre. En effet, l’ensemble constitue une seule Torah. ». Il n’est pas rare qu’au beau milieu d’un sujet épineux de halakha le Talmud recoure à la Aggada en guise d’illustration, ce qui rend difficile la distinction entre ces deux natures de textes.
La littérature midrashique
En parallèle au Talmud, d’autres compilations des enseignements des Sages d’Israël couvrant à peu près les mêmes périodes virent le jour. On les appelle les Midrashim. Ils occupent une place très importante dans la littérature juive et ses enseignements.
Pour exposer brièvement la structure des Midrashim, il convient tout d’abord de mentionner les différentes méthodes d’interprétation des textes bibliques. Il existe quatre niveaux d’interprétation : le « pchat », le « remez », le « drach », et le « sod », désignés par l’acronyme « pardès », jardin.
Le Pchat (sens littéral) :
Il s’agit d’une étude de textes basée sur le sens obvie. L’interprétation littérale des textes permet d’établir une connaissance claire du sens premier des versets bibliques. On considère le Pchat comme indispensable à la compréhension des textes. Même les interprétations basées sur le Drach et le Sod nécessitent au préalable une compréhension du texte dans son sens premier. « Il n’y a pas de versets qui puissent sortir de leur pchat », nous dit le Talmud (Chabbat 63, b). Les commentateurs de la Bible utilisant cette méthode sont appelés les « Pachtanim ».
Le premier à introduire cette méthode fut Rabbi Saadia ben Joseph Gaon (884-944)[15]. Rabbi Salomon ben Isaac, dit Rachi (1040-1105), de Troyes en Champagne, est incontestablement le plus important des Pachtanim. Son commentaire sur les Ecritures apparaît indispensable à leur compréhension. Même lorsqu’il fait appel aux Midrashim c’est uniquement pour apporter des éléments de réponse aux questions liées à la compréhension du sens littéral. (cf. Rachi sur Genèse 3, 8).
Le Remez (allusion) :
Ces études visent à éclairer le sens d’un mot en se référant à d’autres contextes où sa signification est plus explicite.
Le Drach (interprétation) :
Son approche dépasse le sens littéral. Ses interprétations se fondent sur les « Midot chéhaTorah nidréchet bahen », règles selon lesquelles la Torah s’interprète. Par sa cohérence, le Drach démontre à quel point il est impossible d’interpréter certains versets de la Torah à partir de leur sens premier, comme la loi du talion par exemple. C’est ainsi qu’en son absence de nombreux passages de la Bible seraient restés obscurs et incomplets. Le Drach renferme l’essentiel de la tradition juive, la halakha, la Aggada, et toute la tradition orale.
Le Sod (secret) :
Le Sod, pour sa part, apporte un sens ésotérique et mystique aux textes bibliques ; la Cabale en est sa plus importante élaboration. Après avoir interprété les significations selon le Pchat, le Remez, et le Drach, on synthétise toutes ces interprétations pour en dégager le sens ésotérique et cabalistique, c’est ce qu’on appelle le Pardès.
Le Midrash
Le Midrash inclut la plupart des drachot (interprétations) des Sages d’Israël de l’époque de la Mishna et de la Guémara. Il est lui aussi composé de deux sortes de Midrashim, le Midrash halakha et le Midrash Aggada. Contrairement au Talmud, ces deux sortes de Midrashim ne figurent pas dans un seul et même texte, ils constituent deux ensembles séparés.
Le Midrash halakha commente la Torah (le Pentateuque) à partir de l’Exode 12,15[16]. Il se divise en plusieurs parties : la Mekhilta pour l’Exode, la Torat Cohanim ou Sifra pour le Lévitique, le Sifri pour les Nombres et le Deutéronome. Le Midrash Aggada englobe de nombreux ouvrages dont les plus connus sont le Midrash Rabba et le Midrash Tan’houma. Les autres Midrashim, publiés bien plus tard, comme le Yalkout Chimoni, le Yalkout Réouvéni ou le Midrash Lekah tov, représentent pour la plupart un travail de compilation de Midrashim existants[17].
Le Zohar
Cette littérature midrashique comporte également des enseignements mystiques appelés « Maassé Markava », le récit du char céleste. C’est de cette étude qu’est issue la Cabale juive (voir plus loin). Ces enseignements sont réunis également dans différents ouvrages qui se présentent exactement comme les Midrashim traditionnels. Le plus célèbre d’entre eux est le livre du Zohar (Livre de la splendeur) écrit en araméen. Il suit l’ordre des sections de la Torah (Pentateuque). Son apport est plutôt axé sur le Sod. La littérature rabbinique a attribué le Zohar au Tana Rabbi Shimon bar Yo’haï, élève de Rabbi Akiba au IIe siècle de notre ère[18].
Chapitre II
La chronologie des Sages d’Israël
après la conclusion du Talmud
Les Sages d’Israël postérieures à la conclusion du Talmud, vont pour la plupart d’entre eux, écrire des livres qui traite essentiellement de commentaires de la Bible, du Talmud, ainsi que de juridictions juives. Même les ouvrages de pensées philosophiques et de poésies liturgiques sont centrés, le plus souvent, autour des textes de la Bible et du Talmud.
C’est ainsi que s’est constituée une somme immense de littérature juive autour de la Bible, du Talmud et de la halakha. L’importance hiérarchique de ces ouvrages s’établit en fonction de la période où ils ont été écrits.
Le style littéraire et la méthode d’approche des Gaonim est très différentes de celles des Richonim et des A’haronim. Un lecteur attentif dit pouvoir situer approximativement l’auteur au regard de son style et de son approche. Il est extrêmement important de bien situer la catégorie avec laquelle correspond l’auteur, s’il s’agit d’un Gaon, d’un Richon où d’un A’haron.
Pour mieux cerner cette idée, nous tenterons de définir brièvement cette chronologie, cerner le point convergeant de ces écoles, en donnant un bref aperçu de cet immense patrimoine que constitue la littérature du judaïsme[19].
Les Rabbanan Sabouraïm, et les Gaonim
On appelle les sages qui viennent juste après la conclusion du Talmud au VIe siècle, les Rabbanan Sabouraïm (Maîtres d’opinions). Ils se situent dans une période transitoire et très peu d’informations nous sont parvenues. L’on peut dire avec certitude que bon nombre de leurs enseignements figurent à l’intérieur même des textes du Talmud.
La période des Gaonim débute vers le VIIe siècle, pour se terminer vers le XIe siècle avec R.'Hananaël (990-1054) et, un peu plus tard, R. Isaac b. Jacob Ha-Cohen Alfassi, le Rif (1000-1090), premier des trois piliers de la halakha, considéré comme le dernier des Gaonim et le premier des Richonim.
C’est à partir des Gaonim que prend forme l’œuvre de la littérature du judaïsme. Jusqu'à cette époque, les enseignements des Sages servaient principalement à leurs communautés restreintes d’élèves, alors que les Gaonim cherchèrent davantage à faire connaître leurs enseignements dans des contrés plus éloignés.
Les œuvres des Rabbanan Sabouraim et des Gaonim sont d’un style très proche de celui du Talmud. Ils cherchent avant tout à expliquer le sens des passages difficiles du Talmud. Ce dernier étant écrit dans une langue judéo araméenne très obscure, donna lieu à bon nombre d’incompréhensions. Les étudiants sollicitèrent les Gaonim pour répondre aux doutes qu’ils avaient sur la compréhension des textes étudiés. Le langage des Gaonim est très concis, proche du sens des phrases. Les quelques écrits qui nous sont parvenus, tel le commentaire de R.'Hananaël sur quelques traités du Talmud, recopient, la plupart du temps, les textes difficiles en incluant des mots simples pour lier les phrases entres elles, afin d’en donner leur véritable sens. On est loin de la méthode analytique des Richonim, sans parler de celle des A’haronim (voir plus loin).
Les Gaonim ont encore un droit de juridiction leur permettant d’établir différents décrets qui ont encore aujourd’hui valeur de loi ; par exemple les Takanot (décrets instaurés) par R. Guerchom ben Yéhouda (960-1040), Méor Hagola (luminaire de la diaspora), contre la polygamie ou encore contre le fait de prononcer un divorce sans le consentement de la femme.
Les Gaonim vont également écrire des livres de décisions sur les lois appelés « psakim ». Le Talmud est constitué de multiples interprétations différentes rendant difficile l’établissement des conclusions claires et précises de la halakha. C’est ainsi que les premiers ouvrages de halakha ont vu le jour. Parmi les plus connus, sont le « Halakhot Guédolot » attribué à R. Shimon Kaïera ou à R. Yehoudaï Gaon de Soura, en Babylonie[20], ou encore le « Chéiltot » de R. A’haï Gaon. Romp
L’époque des Gaonim, marque également l’essor de la philosophie juive. En effet les juifs, après la destruction de Jérusalem, s’exilèrent en Babylonie et dans nombre de contrées orientales. Puis, ils immigrèrent en Espagne et dans d’autres pays d’Europe, tels la France ou l’Italie. L’influence chrétienne et surtout l’établissement de la nouvelle religion musulmane soulevèrent de grandes questions existentielles quant aux fondements du judaïsme. La foi en fut ébranlée. De plus, les persécutions et les contraintes imposées aux juifs, comme les conversions forcées qui s’ensuivirent ajoutèrent une nouvelle série d’épreuves.
La prise de conscience, de cet état de fait, pressa les Sages d’Israël d’apporter des réponses philosophiques, et parfois ésotériques aux interrogations existentielles, afin de consolider les principes établis de la foi juive.
La Pensée juive était née. Il sera désormais possible de questionner les fondements de la Torah et nécessaire d’y apporter des réponses. Nous pouvons dire que cette période donna naissance chez les Gaonim, à une pensée rigoureuse et fondamentale. De nombreux livres traitant de philosophie juive virent le jour. Tel le « Emounot Védéot » (les Croyances et les Idées) de R. Saadia ben Joseph Gaon (884-944). Il tente de rendre rationnelle la foi et d’harmoniser la Révélation et la Raison. Ou encore les ouvrages magistraux de R. Chlomo b. Yéhouda ibn Gabirol (1021-1057), auteur entre autres du fameux « Mekor Ha'Haïm » (Source de vie, faussement attribué à un chrétien dans une version latine sous le nom de « Fons Vitae »). Il se présente sous forme de dialogue entre un maître et son disciple : comment Dieu, Pur Esprit, a-t-il pu créer un monde matériel ? Le livre apporte des raisons essentielles en réponse à cette question.
Cette nouvelle approche des études juives, se consolide et se prolonge à travers les âges jusqu’à nos jours, notamment avec la naissance des écoles de Cabale aux XVIe siècle à l’époque de R Ytzhak b. Chlomo Louria Achkenazi, dit le Ari Zal (1534-1572), Et bien plus tard avec les écoles de ‘Hassidisme, mouvement fondé par R. Israël b. Eliezer Baal Chem Tov (1698-1760) [voir plus loin Chap. III, les courants de pensée].
Les Rishonim
La période des Rishonim (les premiers, appelés ainsi pour les différencier des « A’haronim » les derniers), qui fait suite à la précédente, se termine, vers le XVIe siècle, avec R. Joseph Caro (1488-1575), auteur du Choul’han Aroukh (la table dressée, code de lois religieuses par excellences). On considère Joseph Caro comme le dernier des Rishonim et le premier des A’haronim[21].
Les Rishonim bouleversèrent complètement les méthodes d’enseignement de la Torah et du Talmud. Ils sont les véritables piliers du judaïsme. Sans eux, la Bible et le Talmud seraient restés fermés et accessibles aux seules élites.
Les Rishonim sont les commentateurs par excellence, à tel point que la plupart des commentateurs postérieurs ne sauront presque plus apporter leurs contributions à la compréhension des textes de la Bible et du Talmud, sans avoir au préalable pris en compte, l’interprétation des Rishonim.
Le langage des Rishonim est d’une telle précision, que les possibilités d’analyses de chaque mot, signe et ponctuation de leurs propos sont inépuisables et apportent une compréhension fondamentale sur les sujets étudiés. R. Yonathan Eibechitz (1690-1764) dans son célèbre Ourim véToumim (commentaire sur le Choul’han Aroukh, traitant des lois civiles de droit, chap. 25), illustre bien ce point : « Il ne fait selon moi aucun doute, nous dit-il, que les œuvres écrites par les Rishonim sont d’inspirations divines, sinon comment comprendre qu’on ait pu apporter autant de réponses d’une telle profondeur et érudition — basées simplement sur la précision des mots employées dans les écrits des Rishonim —, autant de questions importantes posées, vont pouvoir être explicité juste par le langage dont s’emploient les Rishonim dans leurs commentaires. Bon nombre de lois seront déduites rien que par l’exactitude et la concision de leurs propos. Il est, par conséquent, inconcevable d’imaginer que les Rishonim aient pu penser à toute cette quantité d’interprétations. C’est bien la providence qui a permis de rendre cela possible, “le désir de Dieu a fait que leurs entreprises soient une réussite ” ».
La puissance des Rishonim, nous dit R. Salomon Joseph Zévin (1890-1978) dans son livre Ychim vé-shitot (Les personnalités et leurs courants de pensés), c’est d’avoir su explorer les fondements même des écrits de la Bible et du Talmud, et de nous en avoir apporter bien au-delà d’un commentaire, la chose elle même, le véritable sens de ces textes, afin de ne recueillir que la fleur de la farine.
Un maître du ‘Hassidisme ‘Habad disait pour illustrer ce qui distingue les Rishonim des A’haronim : les Rishonim sont comparable à une personne qui cherche un objet dans une chambre éclairée, tandis que les A’haronim ressemblent plutôt à quelqu’un qui cherche un objet dans une pièce sombre. En effet, les écrits des Rishonim, sans négliger l’analyse détaillée et approfondie, sont d’une telle clarté, qu’on sent tout de suite avec quelle facilité ils parviennent à des conclusions claires sur la compréhension des textes, comme s’ils avaient tout de suite trouvé l’objet qu’il cherchaient.
Les A’haronim, en revanche, vont tâtonner — comme dans une pièce sombre — en utilisant de longues analyses approfondies, ils n’arrivent à des conclusions claires qu’après beaucoup plus de recherches et de questionnements.
L’époque des Rishonim va marquer l’essor de nombreuses écoles de méthodes très variées, appelées Shitah (Shitot au pluriel).
D’une manière générale, on distingue deux mouvements d’approches différents : les méthodes des Rishonim originaires d’Espagne et d’Afrique du Nord, et celles originaire d’Europe.
Les Rishonim originaires d’Espagne et d’Afrique du Nord, encore imprégnés des écoles des Gaonim de Babylone — certainement en raison de l’influence culturelle arabo-musulmane de l’époque très proches de la Babylonie —, vont surtout s’intéresser au sens des textes, plutôt qu’à leurs analyses en profondeur et encore moins mener des études comparatives de passages Talmudiques.
Aussi en matière de Juridiction, on va chercher à établir des décisions claires, plutôt qu’à exposer une analyse approfondie des différentes opinions de Halakha et de mentionner les sources des lois. Pour exemple : le Rif, originaire de Fez au Maroc ; son œuvre vient résumer les textes du Talmud en ne retenant que la conclusion Halakhique, et surtout Maïmonide (1135-1204) dans son fameux Mishneh Torah ouvrage qui inclut les conclusions de toutes les lois de la Torah, même celles qui n’étaient applicables qu’à l’époque du temple de Jérusalem.
L’œuvre du Mishneh Torah constitue une véritable encyclopédie des Lois juives déduites du Talmud, œuvre magistrale et concise. La profondeur déductive de ses analyses, va ouvrir une nouvelle perspective dans la vision juive de la Loi. En effet il sera désormais possible d’avoir une compréhension claire, détaillée et pratique de la Halakha. Maïmonide voulait plutôt faire de son œuvre un code de lois pour tout le peuple juif. C’est pour cette raison qu’il fit le choix d’omettre le développement et de ne pas citer les sources qui l’ont amené à établir ses conclusions, afin de ne pas donner aux lecteurs l’impression qu’il s’agit plus d’un travail d’analyse que de loi.
Ces mêmes Rishonim vont continuer l’élaboration de la philosophie juive, par exemple on peut citer les travaux philosophiques de Maïmonide, notamment son fameux « Guide des égarés » où il va chercher à établir un lien entre la foi et la philosophie d’après la méthode d’Aristote, ou encore R. Abraham b. Méïr ibn Ezra (1092-1164), célèbre poète, écrivain et philosophe, auteur d’un des plus importants commentaire de la Bible.
Tandis que les Rishonim originaires d’Europe, depuis les élèves et descendants de Rachi, R. Salomon b. Isaac (1040-1105), vont privilégier l’analyse approfondie des textes du Talmud, ils n’hésiteront pas à opposer des passages du Talmud a priori contradictoires. En effet Rachi, incontestablement le plus important des commentateurs de la Bible et du Talmud, va faire le choix d’expliquer le « Pchat » (sens littéral, obvie). Si son style de langage est très proche de celui des Gaonim, ses travaux sont bien plus élaborés, tant en quantité, que dans son approche, sans remettre en cause l’art de la concision propre à Rachi. On peut dire qu’aucun des commentateurs de la Bible et du Talmud n’a su utiliser un langage, à la fois aussi clair, aussi complet, et aussi concis que Rachi. Son œuvre a eu pour effet de garder le style des Gaonim, tout en ouvrant une nouvelle perspective d’études approfondies, c’est ainsi qu’au besoin Rachi n’hésitera pas à questionner le Talmud tant en matière de compréhension, qu’en matière d’analyse en confrontant nombreux passages a priori contradictoires.
Cette méthode d’étude va se prolonger avec les descendants et disciples de Rachi, en Europe et principalement en France. On les nomme les baalé ha-Tosaffot (Tossaphistes), maîtres des fameuses « Tossafot » (additions). La plupart de leurs commentaires sont édités en marges extérieures des pages mêmes du Talmud. Leurs approches est plus prolixe que celle de Rachi. En effet ils n’hésitent plus à faire de longues analyses de quelques mots difficiles du Talmud, questionnant à la fois le Talmud aux travers de nombreux passages a priori contradictoires mais également, d’une manière parfois très vive, les propos même de Rachi. On peut dire qu’à partir des Tossafot, donc à partir du XIIe siècle, débute la méthode appelée « Pilpoul » (qui consiste à de long développement et analyse approfondie d’un passage du Talmud). Cette méthode se prolonge aux générations suivantes et surtout à partir des A’haronim (derniers) — voir plus loin.
C’est à partir de cette époque que naissent les plus grands commentateurs du Talmud. Leurs méthodes dépassèrent les contrées d’Europe. Ils eurent une influence même sur les Rishonim originaires d’Espagne, dont bon nombre adoptèrent une méthode similaire, tel R. Moché b. Na'hman, dit Na'hmanide (1194-1270) ou son disciple R. Chlomo ben Aderet le Rachba (1235-1310), ainsi que beaucoup d’autres, dont les œuvres constituent des classiques du monde des Yéchivot (Écoles spécialisées des études du Talmud).
En matière de juridiction également leur approche est fondamentalement différente. Il n’est plus question d’élaborer des conclusions de lois juives sans apporter aux lecteurs l’analyse approfondie qui a amené le décisionnaire à cette conclusion. Par exemple, dans l’École des Sages de Lunel, le célèbre R. Avraham b. David de Posquières, le Ravad (1120-1199), remit en cause, d’une manière très vive, l’œuvre de Maïmonide pour avoir établi des conclusions de lois sans citer les sources et les analyses qui l’ont amené à trancher. Ses fameuses « assagot » (gloses contradictoires) sur le Mishneh Torah vont dans ce sens. Il va jusqu’à dire en parlant de Maïmonide « qu’il a délaissé la méthode de tous les auteurs qui jusqu’alors avaient l’habitude d’apporter des preuves justifiant leurs propos. Ils citaient les enseignements au nom de leurs auteurs […]. Je ne sais donc pourquoi revenir sur mes propres compréhensions et décisions pour les siennes, alors que je ne suis pas en accord avec ».[22]
Mais le plus important des Rishonim tenants de cette méthode et originaire des régions d’Europe, est incontestablement R. Acher ben Ye’hiel le Roche (1250-1327), née a Cologne. Dernier des trois piliers de la Halakha, avec le Rif et le Rambam (Maïmonide).
Son œuvre va élaborer des conclusions de lois des traités du Talmud principalement applicables en diaspora. Sa méthode de travail sera très proche de celles des Tossaffot, c’est seulement après avoir analyser en profondeur et questionner les passages difficiles et a priori contradictoires du Talmud, qu’il tranchera la loi selon son opinion[23]. Le Roch s’est également opposé à la méthode d’élaboration de la loi de Maïmonide, il écrit dans ses Responsa, Chout haRoch (Chap. 31, 9) : « Ceux qui pensent pouvoir trancher une loi, simplement en consultant l’œuvre de Maïmonide, se trompent. Ils pensent avoir compris la Halakha, alors que sans avoir pris connaissance des sources talmudiques de la loi énoncée et sans chercher à comprendre dans quelle mesure cette loi à été dite. Il s’avère impossible de pouvoir établir clairement la Halakha ».
Les A’haronim
Comme nous l’avons vu, la période des A’haronim va débuter à partir de R. Joseph Caro (1488-1575) auteur du Choul’han Aroukh, il est considéré comme le dernier des Rishonim et comme le premier des A’haronim. Joseph Caro est l’autorité incontestée du judaïsme Sépharade. R. Moché Isserless le Ramah (1525-1572), auteur des fameuses notes sur le Choul’han Aroukh appelé Mapa (nappe), est l’autorité du monde Ashkénaze.
En effet, après l’œuvre du Choul’han Aroukh et de ses fameuses Mapa, une nouvelle page de l’histoire des Sages d’Israël va commencer, tant dans l’approche des textes en matière de commentaires, qu’en matière de juridictions.
Tout d’abord en matière de juridictions, le Choul’han Arou’kh, va amener les A’haronim à définir leur propre compréhension de la loi, en fonction des conclusions émises par R. Joseph Caro et le Ramah. Les décisions Halakhiques établies par les A’haronim seront désormais, pour la plupart, développés à partir des conclusions du Choul’han Aroukh. Cette approche de la Halakha suscitera également chez les A’haronim de nombreuses écoles d’interprétations de loi, très différentes les unes des autres. Leurs communautés baseront la pratique de la loi en fonction de leurs décisions.
Le commentaire également va prendre une toute autre forme, on va désormais commenter les Rishonim, discuter leurs explications, afin d’apporter contribution à la compréhension du Talmud.
La période des A’haronim va connaître les plus grandes œuvres de la littérature talmudique, tant en quantité, qu’en élaboration des sujets traités.
Les A’haronim ne vont pas pour autant ignorer l’art de la concision, certains d’entre eux, (surement les plus importants) vont écrire d’une telle concision, qu’il nécessite une grande attention afin de comprendre leurs propos, citons entre autres R. Chmouel Eliezer Edels, le Maharcha (1555-1632), dont le commentaire figure dans les éditions même des traités du Talmud, on peut dire sans exagération qu’il a su écrire en quelques lignes, se qu’il faudrait normalement écrire en plusieurs pages. Bon nombre de ses contemporains vont utiliser un style très proche de celui-ci.
D’autres Sages, parmi les A’haronim, utiliseront un style d’analyse et d’élaboration très différentes. Leurs commentaires seront beaucoup plus détaillés, ils n’hésiteront pas à citer les différentes opinions des Rishonim et des grands A’haronim qui les ont précédés, questionner leurs propos, établir des règles sur les sujets traités, construire un système d’analyse et de recherches appelées « Pilpoul ».
Cette approche apportera véritablement un plus sur le plan de l’enseignement et de la compréhension, des textes étudiés. Pour ne citer que quelques exemples : R. Yéhouda Rozaness (1527-1597) auteur d’un fameux commentaire sur le Mishneh Torah, le « Mishneh Lé-Mékekh », après avoir cité le texte de Maïmonide, l’auteur va prendre le lecteur par la main, le faire explorer l’océan des sources Talmudiques et de ses commentaires et soulever des questions importantes à la compréhension de la Halakha. Il représente encore aujourd’hui une œuvre incontournable.
Dans le même ordre d’idée plus tard citons R. Ezechiel Halevy Landau (1713-1783), auteur entre autres des fameuses Responsas « Noda BiYéhouda » ses œuvres participe également à l’analyse approfondie des sujets traités, ses Responsas, ouvrages habituellement réservés à une étude de décisions pratique de loi, appelé « Halakha lé-maasséh », font plus office d’un ouvrage de « Pilpoul ».
Il convient également de citer le célèbre Chaagat Arié (lion rugissant) R. Arié Leib Voiderstein b. Acher Ginsbourg (1695-1785), Rabbin entre autres de la ville de Metz en France. Il va être le véritable initiateur de la méthode du Pilpoul, son érudition et la profondeur de ses analyses vont dépasser de très loin ses contemporains, au point qu’il avait pour habitude de contredire les Sages de son époque et bon nombre de ceux des époques antérieurs avec une extrême virulence.
Nous pouvons citer également deux Grands classiques du monde des Yéchivot ; R. Arieh Leïb (1745-1813) auteur des fameux « Ketsot ha’Hochen » et « Avné Milouim » ces œuvres font incontestablement partis des plus importantes et des plus profondes parmi les écrits des A’haronim. Ou encore R. Joseph Bavad (1800-1874) auteur du célèbre Min'hat 'Hinoukh, commentaire du Sefer Ha'hinou'h[24] sur les 613 Commandements de la Torah, véritable encyclopédie de la Halakkha et du Talmud. Son œuvre est d’une telle importance tant dans l’immensité des sujets traités que dans sa profondeur, qu’il est incontestablement l’ouvrage le plus mentionné et le plus commenté parmi les auteurs postérieurs.
Ces Grands Maîtres vont marquer l’histoire de la littérature des Sages d’Israël, on les considèrent parmi les plus importants, des A’haronim. Nous aurions pu en citer beaucoup d’autres et détailler leurs spécificités d’analyse.
Le monde des Yéchivot
La fin du XIXe siècle va également marquer un nouvel élan dans l’approche de l’étude du Talmud par notamment la création de nouvelles structures d’établissements d’études « les Yéchivot », ils vont constituer un monde d’étudiants comparable à celles des plus grandes universités contemporaines.
En effet, avant l’établissement de ces nouvelles écoles, les maisons d’études (Beth ha Midrash) basé aux centres des communautés juives, servaient de lieux d’études aux étudiants. Ceux qui préféraient faire leurs études dans des lieux réputés, tel Vilna ou Volojine, étaient logés chez des familles juives de la communauté.
La création des yéchivot va apporter une véritable évolution à ces centres d’études. Ces structures vont créer non seulement des espaces d’études, réservés essentiellement aux étudiants, mais serviront en plus de lieux de pensionnat.
Ces institutions vont s’accroître jusqu’à nos jours bon nombre d’entre elles font, encore aujourd’hui, figure de références, elles sont connues sous le nom de la ville où elles se trouvaient avant la seconde guerre mondiale, on appelle les Maîtres de ces écoles « Roch Yéchiva » (Maître de Yéchiva, Raché Yéchivot au pluriel).
Ces écoles vont créer des nouvelles structures et programmes d’études chacune avec une méthode spécifique d’enseignements, le plus importants d’entre eux fût incontestablement, R. 'Haïm Soloveitchik (1853-1918) appelé le Rav de Brisk. Sa méthode d’analyse apportera une véritable révolution dans l’étude du Talmud, il va élaborer une réflexion autour de la Halakha, et faire sortir la Halakha de sa raison purement pratique, pour en devenir des concepts intellectuels, afin d’établir les fondements dialectiques des discussions des Rishonim. Sa méthode fut adoptée par les plus grandes écoles talmudiques. Après sa mort seulement une fine partie de ses enseignements furent publiés au nom de 'Hidouché Hagra'h sur le Rambam (Mishneh Torah).
Une mention spéciale est à attribuer à la Yéchiva de Mir en Lituanie, l’une des plus grandes Yéchiva d’Europe de l’Est. Au début de la seconde guerre mondiale, elle devra fuir l’Europe pour immigrer avec tous ses étudiants dans la ville de Shanghai diriger à l’époque par un des plus importants Roch Yéchiva, R. ‘Haïm Shmouelevits, lieux florissants des communautés juives d’alors. La Yéchiva de Mir se trouve aujourd’hui à Jérusalem, elle compte avec la Yéchiva de Ponyovetch, Slavodka et Brisk parmi les plus importants centres d’études du monde contemporain.
À partir des A’haronim vont se constituer d’innombrables écoles de méthodes très différentes et variées, il serait bien trop long d’en faire une élaboration exhaustives, nous allons simplement nous contenter d’établir les grandes courants que constituent la période des A’haronim.
Chapitre III
Les Courants de pensées
Dans la littérature du judaïsme, nous trouvons différents courants de pensées dont voici les principaux.
Les Cabbaliste de Safed en Terre Sainte
Aux XVIe siècle à Safed fut fondée la première école de Cabale par R. Isaac Louria (1534-1572), dit le Ari Zal[25]. Bien que la Cabale fût déjà enseignée avant l’époque du Ari Zal, les cabalistes avaient pour usage de ne réserver leur sagesse qu’à quelques initiés. Le maître n’enseignait qu’à un seul disciple à la fois. « On ne doit pas interpréter, disent les sages, le récit qui a trait au Char Céleste devant une seul personne, à moins qu’il ne s’agisse d’un sage capable de comprendre par lui-même »[26]. Louria par l’intermédiaire de son élève, R. Haïm Vital (1543-1620), va, au contraire promouvoir l’enseignement de la Cabale auprès du plus grand nombre. Du fait de l’émancipation culturelle, il s’avéra alors nécessaire de familiariser le peuple juif avec les enseignements ésotériques de la Torah. C’est ainsi que naquirent les premières écoles de Cabale.
La Hakira et le Moussar
Fidèle aux enseignements de Louria, qui mit des efforts afin d’intégrer la Cabale dans la littérature rabbinique. R. Haïm Vital rédigea entre autre un recueil des enseignements de Louria, le fameux « Ets Haïm » (Arbre de vie). Pourtant la Cabale demeure, encore aujourd’hui, difficilement accessible.
C’est ainsi que de grands maîtres qui leur ont succédé, établiront une pensée très proche de la mystique juive mais dans un style plus accessible. Ainsi, bien que leurs enseignements ne fassent pas directement partie de la Cabale, leur approche reste très philosophique et ésotérique. C’est ce qu’on appelle « la ‘Hakira ». Parmi les plus connues ; l’œuvre « Beth Elokim » sur les fondements de la foi de R. Moché Matrani (?-1580) le Mabit, ou encore le « Chné lou’hot haBrit » (les tables d’alliance) de R. Isaïe b. Halévy Horowitz (1565-1630), sans oublier le plus connu : R. Juda Léwaï (1512-1609), plus connu sous le nom du Maharal de Prague, il s’est rendu célèbre pour avoir insufflé, dit-on, la vie à une créature d’argile, le fameux Golem. Le Maharal de Prague, légua une toute nouvelle approche de la pensée juive en interprétant tous les grands concepts du Zohar et de la Cabale d’une manière plus philosophique, plus proche des notions concrètes. Il donna une véritable dynamique aux concepts cabalistiques. Ses œuvres sont atypiques dans la littérature juive. L’auteur ne mentionne presque pas le Zohar et la Cabale dans ses écrits alors qu’il est indéniable qu’il s’en est inspiré.
Ce mode de pensée fit naître parmi les mouvements mystiques d’Europe, des courants d’éthiques juives, les « Baalé Moussar » (les Moralistes). Ils se placent quelque peu en retrait du commun de la communauté, pour vivre une vie d’ascète semblable à la vie monastique. Bon nombre de ces Maîtres s’imposèrent une vie d’exil et de pénitence, voyagèrent de bourgade en bourgade, vêtus comme des mendiants, refusant toute forme d’honneur, réservé aux grands Sages d’Israël, dans le but de prêcher la bonne parole dans les contrées éloignées d’Europe.
Ils écrivirent également de nombreux ouvrages de Moussar (de morale) s’imprégnant directement des enseignements de la ‘Hakira, dans une vision plus éthique que purement philosophique. Par exemple les ouvrages de R. M. Haïm Luzzato, le RaM'HaL (1707-1747), éminant cabaliste, philosophe et moraliste. Les grands principes de sa pensée sont rassemblés dans son petit recueil « Méssilat Yécharim » (Le sentier de la rectitude[27]).
Le but des moralistes est d’amener les Juifs à une prise de conscience : la privation des plaisirs du monde, le renoncement à tout ce qui n’est pas strictement nécessaire à la vie élèvent l’esprit vers la connaissance de Dieu. La totale abnégation face aux lois divines place l’homme au-dessus du commun des mortels. Il atteint alors le stade de « Ychim », ultime élévation, et devient un véritable réceptacle de la lumière divine.
Les courants de Moussar ont encore aujourd’hui une grande influence sur la pensée juive. Différents « Baalé Moussar » fondèrent des grandes écoles qui suivirent cette tendance, tel R. Israël Salanter (1810-1883) ou encore R. Joseph Yozel le « Saba »[28] (?-1920) fondateur de la Yéchiva de Novardok qui compte parmi d’autres écoles très célèbres.
Les dérives des Courants Messianique
Ces courants de pensées, davantage axés sur l’émerveillement et la contemplation mystique, ne furent pas non plus sans risque. En effet, ce réveil mystique, notamment par cette volonté de faire de l’avènement messianique une réalité concrète et imminente, engendra, en dépit de ses maîtres (les « Baalé Moussar »), des dérives aux conséquences graves dans l’histoire du peuple juif. Notamment avec l’arrivée de Sabbataï Tsvi (1626-1676) qui se proclama, en la ville de Smirne, en 1665 le Messie. Il eut un grand impact sur les masses juives qui commencèrent à renoncer à leurs biens, dans l’attente de l’événement du retour à Jérusalem. Jusqu’au Maroc, en Turquie et en France, l’enthousiasme était général. Il mit le cap sur Constantinople afin de se faire reconnaître du Sultan, ce qui suscita la colère de ce dernier. Sabbataï Tsvi fut alors emprisonné. Il dut renier le Judaïsme en se convertissant à l’Islam pour préserver sa vie[29]. Ceci n’eut pas pour effet d’éveiller les consciences. Au contraire, ses disciples continueront à croire en son message, en justifiant l’apostasie du Messie. Cette hérésie Sabbataïenne ne s’arrêta pas là. D’autres mouvements de dérives s’élevèrent en Europe. Le plus célèbre d’entre eux fut celui de Jacob Franck (1725-1791). Il persuada les juifs qu’il était la réincarnation de Sabbataï Tsvi. Il eut aussi de nombreux adeptes à travers l’Europe, appelés les Franckistes. Les autorités rabbiniques décidèrent de les excommunier. Ils furent dénoncés aux autorités ecclésiastiques. À son tour, J. Franck finit par se convertir au christianisme.
Ces dérives éveillèrent chez les Sages traditionnels une vive inquiétude quant aux courants de pensées d’éthique et de mystique juives. Leur question était de savoir s’il fallait les considérer comme partie intégrante de la pensée traditionnelle religieuse ou pas. De ce fait de grandes polémiques virent le jour, souvent à cause de vulgaires malentendus, entre les sages d’Israël. Comme l’atteste la vive « lutte » qui éclata entre R. Jacob Amden (1697-1776) et R. Jonathan Eibechitz (1690-1764), suite à une amulette cabalistique écrite par ce dernier. R. Jacob Amden finit, du fait du contenu de cette amulette qui prêtait à confusion, par soupçonner son rival R. Jonathan Eibechitz d’appartenir à la secte Sabbataienne.
Le ‘Hassidisme
Au XVIIIe siècle, les courants de Cabale, de ‘Hakira et de Moussar apportèrent un véritable renouveau à la mystique juive : on assiste en Europe de l’Est à la naissance du ‘Hassidisme. Mouvement Fondé par R. Israël Baal Chem Tov (1698-1760) « Maître du bon Nom », issu d’une lignée de Cabalistes mystique appelés les Baal Chem. Le Baal Chem Tov bouleversa littéralement la culture juive d’alors. En effet, il était nécessaire pour le peuple juif de faire face aux grandes questions philosophiques, culturelles et politiques du monde. Les enseignements ésotériques de la Torah ne pouvaient rester l’apanage d’une élite. Il fallait donc les ouvrir à la masse juive.
Le Baal Chem Tov voulait aussi recentrer les enseignements ésotériques de la Cabale déjà adaptés (sous une autre formes) par les courants de la ‘Hakira et du Moussar. Il entreprit d’en garder l’essentiel en mettant l’accent sur une méditation de la nature de l’homme, et l’exploration des fondements de son approche à Dieu.
Le Baal Chem Tov chercha à donner un nouvel élan spirituel et culturel aux enseignements de la Cabale. Son idée est de ne pas limiter l’enseignement mystique dans sa seule dimension intellectuelle, mais de lui insuffler une nouvelle vitalité en déployant une dynamique rituelle de la pratique religieuse et en adaptant la profondeur des enseignements cabalistiques à la vie juive traditionnelle.
Il fit de la prière et de la méditation contemplative des éléments essentiels de son enseignement. La joie devint la première dynamique du service de Dieu. La profondeur mystique de la Torah n’était plus réservée qu’aux seules initiés, mais s’intégrait au patrimoine juif pour devenir un héritage commun.
Le Baal Chem Tov est davantage vu comme une figure de légende que comme un Maître de Torah semblable aux autres. La multitude de contes merveilleux qui l’entourent racontés aux enfants et aux grandes personnes, assoiffés d’espoir et de réconciliation avec le Tout-Puissant malgré les souffrances difficiles du peuple juif à travers l’Histoire, atteste bien l’image mythique de ce personnage.
Le Baal Chem Tov promulgua son enseignement à de nombreux disciples qui comptent parmi les plus grands érudits de l’époque. Ils firent « jaillir » son enseignement dans les contrées les plus reculées d’Europe. Notamment par R. Jacob Joseph de Polnoye (?-1782) dont l’ouvrage « Toldot Yaakov Joseph » (Généalogie de Jacob Joseph), basé sur les enseignements du Baal Chem Tov, fut le premier livre de ‘Hassidout publié. Citons le plus célèbre parmi les élèves du Baal Chem Tov, R. Dov Ber de Mézeritch (1704-1772) connu sous le nom de « Maguid de Mézeritch » (le Prédicateur de Mézeritch).
Le Maguid de Mézeritch académisa véritablement le ‘Hassidisme. Il eut plusieurs centaines d’élèves parmi les plus grands érudits de leur époque. Ils établirent des écoles de pensées ‘hassidiques, de visions très différentes et variées, principalement en Pologne, en Russie ou en Hongrie.
Le Maître ‘Hassidique est appelé le « Tzadik » (Juste) ou le Rabbi (Maître). Ils sont nommés du nom de la ville où ils étaient installés.
Leurs disciples sont appelés « ‘Hassid » (pieux). Le ‘Hassid est plus un adepte de son Rabbi qu’un élève. Aux yeux de son ‘Hassid, le Rabbi est considéré comme un véritable intermédiaire entre lui et le Créateur. Il éprouve une vraie abnégation pour son Rabbi. C’est ainsi qu’il prend conseil auprès de lui pour tous les problèmes importants de sa vie.
Le ‘Hassidisme s’institutionnalise. De nos jours encore une grande partie des juifs pratiquants sont des ‘Hassidim.
Parmi les plus connus des Maîtres du ‘Hassidisme citons R. Mena’hem Mendel de Vitebsk (1730-1788), qui joua un rôle très important pour défendre l’idéologie du ‘Hassidisme auprès de ces détracteurs. R. Lévi Isaac de Berdichev (1740-1810) dont l’amour pour le peuple juif est rentré dans la légende. R. Na’hman de Braslav (1772-1810) fut un des plus étonnants chefs spirituels du mouvement 'Hassidique. Sa marginalité ne fit pas l’unanimité au sein même du mouvement au point que certains voulaient l’excommunier. Il n’eut pas de successeurs et pourtant son courant continue d’exister encore aujourd’hui.
On ne peut ignorer parmi les maîtres du ‘hassidisme R. Shnéour Zalman de Lyadi (1745-1812) « l’Admour[30] Hazaken » (le vieux Rabbi) ou le « Baal haTanya » du nom de son œuvre la plus connue, dans laquelle il résume sa pensée. Fondateur du célèbre mouvement HaBaD, père de la dynastie de Loubavitch. Il conceptualise la pensée ‘Hassidique. La profondeur de ses écrits les range parmi les plus importants de la littérature juive.
L’ampleur du ‘Hassidisme et son enseignement est d’une telle richesse qu’il faudrait réserver une encyclopédie complète pour en donner un véritable aperçu. Là encore, dans les biographies proposées, davantage de précisions seront apportées.
Les Mitnagdim (opposants)
Le ‘Hassidisme, lui aussi de tendance mystique, comme nous l’avons dit, cherchait à promouvoir davantage les enseignements ésotériques de la Torah au sein de la masse juive. Il ne fut pas sans prêter le flanc à la critique.
En effet, les grands talmudistes traditionnels s’opposèrent avec une rigueur et une violence extrêmes à ce mouvement. R. Ezechiel Halevy Landau (1713-1783), le « Noda Byéhouda » précité, pourtant de la famille du Baal Chem Tov, voyait dans ce courant un écart par rapport à la pensée juive traditionnelle. Mais le plus virulent parmi les opposants aux ‘hassidismes fut sans conteste le Gaon[31] de Vilna, R. Eliahou b. Chlomo Zalman (1720-1797), éminent Talmudiste et Cabaliste. C’est une des plus grandes figures de l’histoire du judaïsme. En dehors du fait que selon lui les ‘Hassidim n’accordaient pas suffisamment d’importance à l’étude de la Torah, il estimait que le ‘Hassidisme était en total désaccord avec les fondements même de la Cabale.
C’est ainsi qu’une lutte très vive s’engagea contre le ‘Hassidisme. On alla jusqu’à excommunier ses membres et brûler leurs publications sur les places publiques. Les efforts considérables qu’entreprirent R. Mendel de Vitebsk et R. Shnéour Zalman de Lyadi pour rencontrer le Gaon afin de lui faire entendre raison quant à la conformité, selon eux, de la pensée ‘hassidique au judaïsme et à la Cabale s’avéra infructueuse ; le Gaon refusa catégoriquement de les rencontrer. Cette période tragique de l’histoire créa deux clans au sein du peuple juif religieux, celui des ‘hassidim et celui des « mitnagdim » (opposants).
Les mitnagdim prônent un judaïsme plus traditionnel axé essentiellement sur l’étude du Talmud. Ils ont comme maître incontesté le « Gaon de Vilna ». Selon eux, la cabale ne concernait que l’élite, qui vouait sa vie à l’étude de la Torah de manière très rigoureuse. Il n’y avait donc guère de place pour ceux qui n’avaient pas les moyens d’étudier la Torah.
On comprend alors que les « gens simples » trouvaient davantage leur place dans le milieu ‘hassidique.
Cependant l’émancipation intellectuelle de la fin du XVIIIe siècle eut une influence directe sur les communautés juives d’alors. C’est ainsi que vit le jour un nouveau courant la « Haskalah », le courant juif influencé par les lumières. Les membres de ce mouvement sont appelés les « Maskilim » (les intellectuels). Ce courant visait l’émancipation religieuse et politique des juifs qui devaient êtres intégrés aux mœurs du pays où ils vivaient. C’est ainsi qu’ils manifestaient leur opposition au monde des yéchivot pour, au contraire, inciter la masse juive à remplir les bancs des universités. Les mouvements de réforme que nous connaissons aujourd’hui, qui cherchent à adapter la ‘Halakha aux nouvelles conditions de vie, sont issus de la « Haskalah »[32]. Le gouvernement d’alors tentait également d’imposer des programmes d’études profanes aux écoles juives et aux yéchivot.
Le zèle des Maskilim et les pressions du gouvernement constituaient une menace pour le judaïsme traditionnel. C’est ainsi que les ‘Hassidim et les Mitnagdim comprirent qu’il leur fallait s’unir en vue de défendre une cause commune : préserver l’idéal d’un judaïsme authentique.
Ces deux milieux prirent alors conscience qu’au-delà d’un rituel et de certaines coutumes quelque peu différentes, ‘Hassidim et Mitnagdim défendaient les mêmes valeurs. La plupart des maîtres des courants ‘hassidiques étaient de véritables érudits en matière de ‘Halakha et de Talmud, on ne pouvait dès lors les soupçonner de dénigrer l'étude. Il n’y avait donc plus de raisons apparentes de continuer cette « lutte » acharnée.
C’est ainsi que de nos jours, ‘Hassidim et Mitnagdim se complètent et s’incluent les uns et les autres dans une vie religieuse commune. Même si certains clivages entre ces deux courants demeurent encore aujourd’hui, ils sont de moindre importance et ne peuvent opérer une scission entre ces deux parties. On peut même affirmer que le mode de pensée ‘hassidique basé sur la mystique juive a eu une influence sur les enseignements philosophiques des sages d’Israël des courants Mitnagdim.
Hervé élie Bokobza
rvelie1@yahoo.fr
[1] Il est question ici de la Torah Orale. La Torah écrite a été — selon la Tradition — transmise par écrit à l’ensemble du peuple : Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique ; enseigne-le aux enfants d’Israël, mets-le dans leur bouche, afin que ce cantique me serve de témoin chez les enfants d’Israël (Deu. 31, 19).
[2] Selon une autre version (Midrash Eikha Rabbah 1, 31), R. Yo’hanan b. Zakaï aurait effectivement demandé à Vespasien de renoncer à Jérusalem, mais sa requête ne lui fut pas accordée.
[3] Ce qui vient d’être dit peut nous permettre de mieux cerner la personnalité de R. Yohanan b. Zakaï. Bien qu’il était le plus jeune des élèves de Hillel le Nassi (président de l’académie des sages), il n'en était pas pour autant le moins important puisque c’est lui qui le succéda. (Cf. Talmud Souccah 28, b, Baba Batra 134, a, ainsi que le livre Kessef Mishneh de R. Joseph Caro sur le Mishneh Torah Loi Mamérim 2, 1).
R. Yo’hana b. Zakaï vécut à l’époque de la destruction du temple (en 68 de notre ère), il ressentait donc légitimement la responsabilité d’apporter un renouveau à la vie juive et d’assurer la pérennité de sa tradition dans la diaspora.
Cependant, le Temple représentait alors le symbole fondamental du Judaïsme. Il fallait donc préparer le peuple à cette nouvelle perspective. Ce qui vient d’être expliqué peut laisser entendre un certain laxisme de la part de R. Yo’hanan b. Zakaï au regard de l’importance que pouvait représenter le Temple pour les juifs. C’est peut-être pour cette raison que R. Yo’hanan b. Zakaï instaura certaines règles, après la destruction du Temple, visant le but de sauvegarder sa mémoire et de renforcer la foi juive en sa reconstruction (Cf. la Mishna, traité Roch Hachana 4, 1-4, ainsi que d’autres sources).
Il faut voir dans les intentions de R. Yo’hanan b. Zakaï, un moyen de donner peu à peu un sens à la vie juive en dehors du temple de Jérusalem.
[4] Cf. Talmud de Jérusalem, Sanhédrin (1, 4) ainsi que d’autres endroits. Notons le tragique événement relater dans le Talmud (Chabbat 13, b) concernant cette fameuse journée où l’école de Chamaï se trouvaient majoritaire dans le Beth Hamidrash par rapport à celle de Hillel. [Journée célèbre dans le Talmud appelé « Bo bayom » (ce jours-là). Cf Talmud (Berachot 28, a) « chaque fois que nous disons bo bayom il s’agit de ce jours-là ». Voir à ce sujet le livre « Yessod haMishna véArikhatah » (le fondement de la Mishna et son élaboration) de R. Réouven Margalyot XXe siècle p. 51]. Les disciples de Chammaï ont du agir avec « violence » pour empêcher ceux de Hillel, de pénétrer à l’intérieur du centre d’études. Dix-huit décrets ont été prononcés ce jours-là par l’école de Chamaï, alors qu’en général la Halakha est tranchée selon l’école de Hillel.
[5] À noter que la Mishna (Edouyot 4) énumère les cas d’exceptions, où Beth Hillel légifère d’une manière plus sévère que Beth Chamaï. Selon les Cabalistes les tendances des Sages du Talmud émanent de la source de leurs âmes, issu des attributs de Dieu, connu sous le nom de Arbres Séphirotiques. Nous disons de chaque attribut qu’il englobe en lui de tous les autres. Ainsi les sept attributs émotionnels incluent pour chacun les six autres. On va alors considérer que la source des âmes des disciples de l’école de Hillel émanent de l’attribut de ‘hessed (bonté) tandis que l’école de Chamaï sont issus de l’attribut de Guévoura (rigueur). Les cas où Beth Chamaï sont plus indulgent correspond au pôle de ‘Hessed (de bonté) inclut dans l’attribut de rigueur. Il en n’est de même pour Beth Hillel, les fois où ils sont plus sévère que Beth Chamaï, émanent du pôle de Guevoura (rigueur) inclut dans ‘Hessed (la bonté). À ce sujet cf. Zohar (III, 245, a) ainsi que le livre du Tanya, (Ygueret hakodech (Epître sainte) chap. 13) de R. Shnéour Zalman de Lyadi (1745-1812).
[6] Le verset dit « al pi » qui veut plutôt dire « conformément » à ces paroles. Le Talmud voit ici également un sens Midrashique : « Al pi » peut aussi vouloir dire « par la bouche » (ces paroles). L’interprétation donnée à l’école d’Ismaël, à savoir « Ecrit ces paroles » signifie : celles-ci, tu peux les écrire, mais non les traditions, reste plus proche du Pchat (sens obvie) ; c’est d’ailleurs cette interprétation que Rachi retiendra dans son commentaire sur la Torah (Exode 34, 27).
[7] Voir l’introduction au Mishneh Torah de Maïmonide, Hamikra Véhamessoura (l’Ecriture et sa transmission) de R. Ruben Margalyot p. 48 note 4.
[8] Tout enseignement des sages rejetés de la décision finale garde malgré tout toute sa place dans la halakha, et fait partie intégrante de l’enseignement de la Torah. Selon la Mishna (Edouyot 1, 5) les opinions divergentes de la halakha sont mentionnées dans la Mishna pour ne pas donner la possibilité de réfuter la halakha à partir des opinions minoritaires. R. Samson de Shantz, le Tossafot Shantz (un des Tossaphistes mort vers 1230) explique ainsi cette Mishna : « Même si l’avis minoritaire n’a pas été alors retenu, suivant le principe : Au nom de la majorité pour infléchir le droit (Exode 23, 2), il se peut que dans les générations futures, d’autres sages s’accordent sur ce point de vue jusqu’à le rendre majoritaire, et ainsi fixer la loi en fonction de cette opinion […]. C’est en ce sens que nous disons “ les uns et les autres, sont les paroles du Dieu vivant ” (Erouvin 13, b) ».
[9] Voir Talmud (Pessa’him 3, b) « Il faut toujours enseigner à son élève avec concision ».
[10] Cf. l’introduction de Maïmonide de son Mishneh Torah.
[11] Cf. Talmud (Rosh Hashana 25, b) : « Jérubbaal était pour sa génération ce que Moïse était pour la sienne, […] Jefté à son époque, est comparable à Samuel pour la sienne […]. Une fois qu’il est nommé chef de la communauté, même le plus insignifiant des hommes, doit être respecté comme s’il était le plus éminent. Il est dit aussi : Tu iras également vers […] le juge qui siège à ton époque. Est-il pensable qu’on puisse aller vers un juge d’une autre époque ? En réalité cela signifie qu’il convient de ne te référer qu’aux juges de ton époque ; ne dis pas d’où vient que les jours passés étaient meilleurs que ceux-ci ? (Ecc. 7, 10).
Maïmonide écrit : « Si un Beth din (tribunal Rabbinique) légifère une loi à partir d’une des règles d’interprétation de la Torah, et qu’ensuite un autre Beth Din vient s’opposer à cette décision à partir d’une raison qui lui semble plus convenable, il pourra contredire ses prédécesseurs, comme il est dit : devant le juge qui siège à ton époque (Deu. 19, 17). Tu es tenu de ne te conformer qu’aux décisions du tribunal de ta génération » (Mishneh Torah, lois de Mamérim (2, 1), les détails de ce sujet ainsi que les différentes opinions sont expliqués dans notre ouvrage, Emounat ‘Hakhamim, la foi dans les Sages 1992).
R. Joseph Caro, auteur du Choul’han Aroukh explique dans son commentaire sur le Mishneh Torah (le Kessef Mishneh) que selon la stricte halakha, il n’y a pas d’interdiction à une autorité Rabbinique ultérieure, de contredire les décisions de ces prédécesseurs, ainsi dans le principe, on pourrait très bien imaginer que les décisions prises dans la Mishna soient remises en cause des législations Rabbinique des générations suivantes. Précisons toutefois qu’après la conclusion de la Mishna, les Sages ont établi un décret comme quoi plus personne ne pourra désormais remettre en cause leurs décisions. Ainsi un Amora ne pourra contredire la Mishna, et il en va de même après la conclusion de la Guémara.
[12] Ces enseignements sont appelés « Meimrot », une meimra est pour la Guémara ce qu’une Braïta est pour la Mishna.
[13] Le Talmud (Sanhédrin 24, b) illustre bien cette différence : « Quelle est la signification du mot « Babel » (Babylone) ? mélangée (Beloula) des Écritures, de la Mishna et de la Guémara : “ Il m’a relégué dans des régions ténébreuses comme les morts ” (Lam. 3, 6), c’est une allusion, selon R. Jérémie, à la méthode d’enseignement du Talmud de Babylone ».
[14] Cet enseignement est mentionné dans le Choul’han Aroukh Harav de R. Chnéour Zalman de Lyadi, auteur du Tanya, (lois de l’étude de la Torah 2, 2). Voir également le Sefer Ha’Hinoukh (livre des 613 Commandements), section Ekev Comandement 434.
[15] Dans le livre Emounot Védéot (7, 1) R. Saadia Gaon détaille les conditions qui impose d’interpréter un verset au-delà de son sens littéral.
[16] La Torah inclut 613 commandements, 248 positives et 365 négatives (Cf. Talmud Macot 23, b-24, a). Tandis que la Genèse n’en contient que trois : 1. Croissez et multipliez (Gen.1, 28 ou 9, 1 et 7) 2. La circoncision (Gen. 17, 10) 3. L’interdiction de consommer le nerf sciatique de la bête (Gen. 32, 33). Aussi, bien que la loi de la Torah ne peut être transmise que par Moïse [voir nos travaux en Hébreux Biat Machia’h (la venue du Messie) partie I chap. 44-45], selon le Talmud, ces trois lois ont bien été redonnées par l’intermédiaire de Moïse au Sinaï, elles ont simplement été écrites à leur place respectives (Cf. Talmud ‘Holin 100, b Sanhédrin 59, b).
[17] Voir « L’introduction à la littérature Talmudique » de Marc A. Ouaknin de la traduction française des « Aggadot du Talmud de Babylone » Ed. Verdier (1982) p. 18.
[18] Les historiens ont attribué ce livre à Moïse de Léon (1250-1305). Ceci a longuement été sujet à polémique, on a même qualifié aux seins de l’orthodoxie juive cette affirmation d’hérésie. Il faut toutefois admettre que le Zohar regroupe les enseignements ésotériques des sages de la Mishna. Ainsi, le fait de dire que Moïse de Léon soit bien l’auteur de ce texte ne remet pas a priori en cause sa légitimité, pas plus que les différents Midrashim publiés approximativement à la même époque.
En effet de même qu’il est inconcevable de nommer un seul auteur à la Mishna et au Talmud, qui, bien qu’ayant été regroupé par un seul maître, englobent les enseignements de l’ensemble des Sages de l’époque, ainsi le Zohar même s’il avait été rédigé par R. Shimon b. Yohaï, ne peut être considéré comme l’œuvre d’un seul et unique maître.
Quoi qu’il en soit sa légitimité n’a jamais été remise en cause des Sages d’Israël [voir à ce sujet l’Avant-propos de C. Mopsik sur la traduction du Zohar ed. Verdier].
Nous pouvons renforcer cette hypothèse à partir de ce que les Cabalistes et décisionnaires discutent pour savoir si Maïmonide avait connaissance du Zohar, alors même qu’il vivait à une époque antérieure à Moïse de Léon. [Selon le commentaire du Migdal Oz, de R. Chem Tov b. Abraham (né en 1287), (Lois des fondements de la Torah chap. 1) Maïmonide se serait rapproché de l’enseignement de la Cabale à la fin de sa vie]. Citons par exemple ce qu’il écrit dans le Mishneh Torah (Lois de Mézouza 5, 4) « Il est d’usage répandu, d’écrire au verso de la Mézouza “ Chadaï ” (un des nom de Dieu) » R. Joseph Caro écrit à se sujet (Kessef Mishneh) que cet usage figure dans le Zohar. Et d’autres sources semblables regroupées par R. Reuven Margulios (1889-1971) dans son reccueil « Harambam vé-ha-Zohar, Jérusalem 2006). Selon ce qui vient d’être dit Il me semble, que tous les écrits, que ce soit dans l’œuvre de Maïmonide, ou d’autres écrits de sages antérieurs à Moïse de Léon, qui trouveraient leurs sources dans le Zohar ne peuvent attester que le Zohar été connu avant. En effet, les ouvrages de Maïmonide attestent d’une immense connaissance de l’auteur dans la littérature talmudique et midrashique, il possédait une connaissance même de textes qui ne nous sont pas parvenus. De ce fait le Zohar aurait bien pu être une compilation de différents Midrashim dont certains étaient déjà connus des Sages d’Israël bien avant la publication du Zohar.
[19] Cf. L’introduction de Maïmonide du Mishneh Torah, à propos des Responsa des Gaonim.
[20] Voir le livre « Chem haGuédolim » (Nom des Grands) de R. Haïm Joseph David Azoulay, le 'Hida 1724-1806 (5494-5566), section Livres « Halakhot Guédolot ».
[21] Certains font conclure la période des Rishonim avant R. Joseph Caro, cependant nos propos s’établissent surtout en matière de juridiction. En effet après le Choul’han Aroukh va s’opérer un véritable changement dans le pouvoir de juridiction et surtout dans l’approche du commentaire, c’est pourquoi on va considérer dans la plupart des ouvrages des A’haronim, les Sages antérieur aux Choul’han Aroukh comme des Rishonim.
[22] À propos de ces deux méthodes d’approche, voir notre étude sur L’étude de la Torah orale et du Talmud selon Maïmonide.
[23] Le Fils du Roch, R. Yaacov ben Acher* (1269-1343) va élaborer une synthèse dans son fameux Arbaah Tourim, des trois piliers de la Halakha, et surtout de l’œuvre de son père, ainsi que des opinions importantes des Tossaffot. C’est à partir de son œuvre que R. Joseph Caro (1488-1575) va rédiger son immense œuvre le « Beth Joseph », véritable encyclopédie de la Halakha, dont le Choul’han Aroukh en est sa conclusion.
[24] Le Sefer ha’hinoukh ou le livre des commandements a été attribué par erreur à R. Aharon Halévi (mort vers 1300) mais qui fut plus vraisemblablement un de ses contemporains.
[25] « Ari Zal », achronime de son nom « Moi R. Ytshak, de mémoire béni ».
[26] Voir à ce sujet le Talmud (‘Haguiga 11, b et 13, a), Maïmonide Mishneh Torah livre de la Connaissance, (loi des fondements de la Torah fin du chapitre 2).
[27] Existe en langue française aux Editions de poche « Points : Sagesse » janvier 1996.
[28] Littéralement « Grand père » titre honorifique de vieux sage. D’après l’expression du Talmud (Kédoushin 32, b) : « R. José le Galiléen dit : On ne donne le titre de zaken (vieux) qu’à celui qui à acquis la sagesse, comme il est dit : “ l’Eternel m’a possédé, dès le commencement de ses voies ” (Proverbes 8, 22) » [ce n’est pas donc à partir de l’âge, puisqu’il est dit « dès le commencement de ses voies » mais à partir du savoir].
[29] Voir Histoire du Judaïsme, (Ed. Puf, chap. 2, 7) L’hérésie Sabbataienne p. 86.
[30] Admour, acronyme de « Adoneinou, Moreinou, vé-Rabeinou », notre maître, notre guide, et notre Rabbi. Généralement le titre Admour n’a été donné qu’aux chefs de lignés ‘hassidiques.
[31] Nommé par ce titre d’honneur de Gaon, pour avoir acquis une telle érudition que comparable à celle des Sages de l’époque des Gaonim.
[32] Nos propos visent uniquement le but de clarifier les courants de pensées à partir de leurs approches respectives. Je ne viens aucunement porter de quelconques jugements sur toutes ses tendances, qui font la richesse, l’ouverture et le patrimoine du Judaïsme.